Il y a quelques années, lorsque se faisaient sentir les premiers frimas,
une kyrielle de passereaux tournaient autour des habitations. Rouges-gorges,
mésanges, chardonnerets, moineaux et quelques grives venaient en nombre picorer
les miettes de pain que nous leur lancions à la fin de nos repas...
Aujourd'hui, les jardins ne résonnent que rarement des pépiements de nos
oiseaux des champs, décimés depuis de nombreuses années par les ravages de
l'agriculture intensive...
Disparition des oiseaux, article du Monde du 20 Mars 2018...
Le printemps risque fort d’être silencieux. Le Muséum national d’histoire naturelle
(MNHN) et le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) publient, mardi 20 mars,
les résultats principaux de deux réseaux de suivi des oiseaux sur le territoire français et
évoquent un phénomène de « disparition massive », « proche de la catastrophe écologique ». «
Les oiseaux des campagnes françaises disparaissent à une vitesse vertigineuse, précisent les
deux institutions dans un communiqué commun. En moyenne, leurs populations se sont
réduites d’un tiers en quinze ans. »
Attribué par les chercheurs à l’intensification des pratiques agricoles de ces vingt cinq
dernières années, le déclin observé est plus particulièrement marqué depuis 2008-2009, « une
période qui correspond, entre autres, à la fin des jachères imposées par la politique agricole
commune [européenne], à la flambée des cours du blé, à la reprise du sur-amendement au
nitrate permettant d’avoir du blé sur-protéiné et à la généralisation des «néonicotinoïdes», ces
fameux insecticides neurotoxiques, très persistants, notamment impliqués dans le déclin des
abeilles, et la raréfaction des insectes en général.
Plus inquiétant, les chercheurs observent que le rythme de disparition des oiseaux s’est
encore intensifié ces deux dernières années.
Résultats de deux réseaux de surveillance
Le constat est d’autant plus solide qu’il est issu de deux réseaux de surveillance distincts,
indépendants et relevant de deux méthodologies différentes. Le premier, le programme STOC
(Suivi temporel des oiseaux communs) est un réseau de sciences participatives porté par le
Muséum national d’histoire naturelle. Il rassemble les observations d’ornithologues professionnels
et amateurs sur l’ensemble du territoire et dans différents habitats (ville, forêt,
campagne). Le second s’articule autour de 160 points de mesure de 10 hectares, suivis sans
interruption depuis 1994 dans la "zone atelier" du CNRS Plaine et val de Sèvre, où des
scientifiques procèdent à des comptages réguliers.
« Les résultats de ces deux réseaux coïncident largement et notent une chute marquée
des espèces spécialistes des plaines agricoles, comme l’alouette », constate l’écologue Vincent
Bretagnolle, chercheur au Centre d’études biologiques de Chizé, dans les Deux Sèvres (CNRS
et université de La Rochelle). Ce qui est très inquiétant est que, sur notre zone d’étude, des
espèces non spécialistes des écosystèmes agricoles, comme le pinson, la tourterelle, le merle
ou le pigeon ramier, déclinent également.»
Sur la zone atelier du CNRS – 450 km2 de plaine agricole étudiés par des agronomes et
des écologues depuis plus de vingt ans –, la perdrix est désormais virtuellement éteinte. «On
note de 80 % à 90 % de déclin depuis le milieu des années 1990, mais les derniers spécimens
que l’on rencontre sont issus des lâchers d’automne, organisés par les chasseurs, et ils ne sont
que quelques rescapés», précise M. Bretagnolle.
Déclin massif des insectes
Pour le chercheur français, « on constate une accélération du déclin à la fin des années
2000, que l’on peut associer, mais seulement de manière corrélative et empirique, à
l’augmentation du recours à certains néonicotinoïdes, en particulier sur le blé, qui correspond
à un effondrement accru de populations d’insectes déjà déclinantes ».
A l’automne 2017, des chercheurs allemands et britanniques conduits par Caspar
Hallmann (université Radboud, PaysBas) ont, pour la première fois, mis un chiffre sur le
déclin massif des invertébrés depuis le début des années 1990 : selon leurs travaux, publiés
en octobre dans la revue PloS One, le nombre d’insectes volants a décliné de 75 % à 80 % sur
le territoire allemand.
Des mesures encore non publiées, réalisées en France dans la zoneatelier Plaine et val
de Sèvre, sont cohérentes avec ces chiffres. Elles indiquent que le carabe, le coléoptère le plus
commun de ce type d’écosystème, a perdu près de 85 % de ses populations au cours des vingt
trois dernières années, sur la zone étudiée par les chercheurs du CNRS.
« Or de nombreuses espèces d’oiseaux granivores passent par un stade insectivore au
début de leur vie, explique Christian Pacteau, référent pour la biodiversité à la Ligue de
protection des oiseaux (LPO). La disparition des invertébrés provoque donc naturellement un
problème alimentaire profond pour de nombreuses espèces d’oiseaux et ce problème demeure
invisible : on va accumuler de petites pertes, nid par nid, qui font que les populations ne sont
pas remplacées. »
Dégradations profondes de l’environnement.
La disparition en cours des oiseaux des champs n’est que la part observable de
dégradations plus profondes de l’environnement. «Il y a moins d’insectes, mais il y a aussi
moins de plantes sauvages et donc moins de graines, qui sont une ressource nutritive majeure
pour de nombreuses espèces, relève Frédéric Jiguet, professeur de biologie de la conservation
au Muséum et coordinateur du réseau d’observation STOC. Que les oiseaux se portent mal
indique que c’est l’ensemble de la chaîne trophique [chaîne alimentaire] qui se porte mal. Et
cela inclut la microfaune des sols, c’est-à-dire ce qui les rend vivants et permet les activités
agricoles.»
La situation française n’est pas différente de celle rencontrée ailleurs en Europe. « On
est dans la continuité d’une tendance lourde qui touche l’ensemble des pays de l’Union
européenne », note M. Jiguet. Estelle réversible ? « Trois pays, les PaysBas, la Suède et le
RoyaumeUni, ont mis en œuvre des politiques nationales volontaristes pour inverser cette
tendance lourde, en aménageant à la marge le modèle agricole dominant, explique VincentBretagnolle.
Aucun de ces trois pays n’est parvenu à inverser la tendance : pour obtenir un
effet tangible, il faut changer les pratiques sur des surfaces considérables. Sinon, les effets
sont imperceptibles. Ce n’est pas un problème d’agriculteurs, mais de modèle agricole : si on
veut enrayer le déclin de la biodiversité dans les campagnes, il faut en changer, avec les
agriculteurs.»
Stéphane Foucart...
Un ornithologue explique pourquoi les oiseaux disparaissent et
comment les sauver...
Publié le 3 avril 2018 par Jean-Louis Schmitt
En Alsace aussi, les oiseaux disparaissent. Parfois pour les mêmes raisons qu'à
l'échelon national, mais d'autres sont liées strictement à la gestion locale des terres agricoles,
des villes et des forêts. Or des solutions existent pour contrer ce déclin.
Le Muséum national d’histoire naturelle (MHNH) et le CNRS viennent de publier deux
études selon lesquelles les oiseaux des campagnes disparaissent de façon massive, depuis ces
vingt dernières années. Nous le constatons aussi en région et l' Alsace ni échappe pas. Il
existe plusieurs raisons à cette hécatombe et il existe aussi des solutions. Un ornithologue
nous dit tout.
La diminution est-elle propre au milieu agricole ?
Non, elle existe aussi en forêt et en ville. Les deux études du Museum d'histoire
naturelle et celle du et CNRS ne concernent que le milieu agricole. Mais un travail est en
cours, pour la France, sur les oiseaux en ville et en forêt. Pour l'instant il existe des chiffres
au niveau européen. Selon une étude rapportée sur un site consacré à l'Etat de la Planète en
30 ans, 421 millions d'oiseaux ont disparu, ce qui représente 20% d'une population totale d'un
peu plus de 2 milliards d'oiseaux européens au début des années 80.
La cause principale de ce déclin ?
Il n'y a pas une cause mais des causes, qui diffèrent selon les milieux. En tête,
l’intensification des pratiques agricoles ces vingtcinq dernières années. Les parcelles sont de
plus en plus grandes, sans un arbre ni un buisson à perte de vue qui pourrait permettre à un
oiseau de se poser, de se nourrir ou de s'abriter.
En forêt aussi les oiseaux souffrent de l'intervention humaine, même si les chiffres
restent stables dans ce milieu. La disparition des oiseaux y est moins dramatique quand on
les compare à ceux des 15 à 20 dernières années. Mais dans les années 6070 il y a avait aussi
beaucoup plus d'oiseaux. Ces milieux se dégradent à cause du réchauffement climatique.
Avant le réchauffement, les essences d'arbres étaient adaptées à de longs hivers et à plus
d'humidité. Désormais ils se dessèchent et meurent ou manquent d'eau au point de ne plus
apporter aux oiseaux l'environnement dont ils ont besoin.
Le mode de gestion forestière française est en cause également. Plus qu'auparavant,
elle est exploitée de façon très intensive. De plus en plus les plantations monospécifiques
augmentent. En Alsace, ce sont les communes qui paient la gestion des forêts et décident
souvent de ne plus investir, parce qu'elles ne sont pas assez rentables. Autre phénomène, on
sort le bois de plus en plus jeune pour l'exploiter. Une forêt vieille doit avoir plusieurs
centaines d'années or en Alsace il existe quelques réserves naturelles, mais c'est loin d'être
beaucoup.
En milieu urbain, les populations sont à peu près stables. Certains oiseaux y
disparaissent, mais d'autres y apparaissent. Il faut se rappeler que les oiseaux des villesviennent d'ailleurs.
Elles sont des zones de substitution pour les oiseaux qui ont su s'adapter.
Le pigeon ramier, par exemple y est en augmentation, tout comme la pie bavarde.
Simplement parce que ces oiseaux nichent dans les arbres et qu'ils ne trouvent plus d'arbres
sur les terres agricoles. Mais historiquement, c'étaient des oiseaux des campagnes. Le
moineau domestique et l'hirondelle des fenêtres sont aussi très menacés.
Les hirondelles sont essentiellement insectivores, or ceuxlà disparaissent, elles ne
peuvent donc plus se nourrir. Elles font partie de ces espèces d'oiseaux très spécialisés dans
leur mode alimentaire qui ne mangent que des insectes ou que graines et sont donc très
menacées, Contrairement aux oiseaux généralistes qui se débrouillent avec un spectre
d'alimentation important, comme les mésanges bleues et les mésanges charbonnières. Les gaz
d'échappement restent un problème également, mais surfaces enherbées où les pesticides et
autres produits chimiques sont supprimés par certaines communes, améliore la situation.
Les solutions pour voir ces populations d'oiseaux réapparaître?
En milieu agricole :Revenir à des parcelles agricoles plus petites, recréer des haies
vives pour permettre aux rongeurs, oiseaux et insectes de se réfugier, s’alimenter et se
reproduire. Supprimer ou du moins réduire considérablement les pesticides, insecticides et
fongicides de synthèse.
En forêt : laisser des arbres morts sur pied ou de vieux arbres en place, ainsi que du bois mort
au sol pour permettre aux oiseaux de trouver le gîte et le couvert. Il faudrait aussi définir des
zones de plusieurs dizaines d'hectare où l'homme n'interviendrait plus du tout, pour que la
forêt redevienne naturelle.
En milieu urbain : les communes pourraient être encore plus nombreuses à passer au
zéro phyto dans le traitement des surfaces végétalisées. Le particulier, quant à lui, peut aussi
contribuer fortement à la préservation et au retour des oiseaux, en n'utilisant pas de produits
chimiques de synthèse dans leurs jardins et sur leurs terrasses...