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À quoi sert la vidéosurveillance
de l’espace public ?…

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des caméras partout

Introduction…
même si son apparition dans la politique nationale de sécurité date de la loi d'orientation et de programmation relative à la sécurité du 21 janvier 1995, c’est à partir de l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République, en mai 2007, que le gouvernement français a fait «le choix prioritaire de la vidéosurveillance». Préparé quelques années plus tôt, à l’époque où cet homme politique était ministre de l’Intérieur, ce choix s’est traduit de façon immédiate par la prise du décret du 15 mai 2007 créant une Commission nationale de la vidéosurveillance chargé de «donner son avis au ministre de l'intérieur sur les évolutions techniques et les principes d'emploi des systèmes concourant à la vidéosurveillance», omission dont la présidence est alors confiée à Alain Bauer, une personnalité issue du marché de la sécurité privée, devenue conseiller du nouveau Président de la République). Deux mois et demi plus tard, l’arrêté du 3 août 2007 «portant définition des normes techniques des systèmes de vidéosurveillance» dans l’espace public, viendra ouvrir la voie à la mise en place concrètes de ces systèmes. Par la suite, un «Plan national de prévention de la délinquance et d’aide aux victimes 2010-2012» sera adopté le 2 octobre 2009 par le Comité Interministériel de Prévention de la Délinquance présidé par le Premier Ministre François Fillon. Ce dernier rappellera alors que la vidéosurveillance constitue la « priorité absolue » de son gouvernement en matière de prévention de la délinquance. Selon la doctrine officielle des années 2007-2012, ici résumée par l’Institut National des Hautes Études sur la Sécurité et la Justice (INHESJ), la vidéosurveillance aurait en effet de nombreuses et cruciales fonctions : « Les objectifs généraux que la loi assigne à la vidéosurveillance de l’espace public sont au nombre de cinq à savoir, protection des bâtiments et installations publics et de leurs abords, sauvegarde des installations utiles à la défense nationale, régulation du trafic routier, constatation des infractions aux règles de la circulation, prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens dans les lieux particulièrement exposés à des risques d’agression ou de vol. (...) A cela s’ajoute un sixième objectif, celui de l’antiterrorisme introduit par la loi de 2006.»
Un élément aussi central de la politique de sécurité et de prévention d’un pays n’a pourtant jamais fait l’objet d’une évaluation scientifique en bonne et due forme. La Cour des comptes le relevait du reste dans son important rapport sur «L’organisation et la gestion des forces de sécurité publique» en juillet 2011 : «De rares études d’impact sont réalisées par des cabinets privés mandatés par certaines villes. Leurs résultats et surtout leur méthode restent confidentiels. En règle générale, les communes, maîtres d’ouvrage des systèmes de vidéosurveillance de la voie publique, manifestent peu d’intérêt pour cette démarche d’évaluation. [...] A Nice, par exemple, où le réseau de caméras le plus important de France, hormis Paris, a été mis place depuis 2001, aucune évaluation de son efficacité n’a été réalisée par la ville. [...] Aucune étude d’impact, réalisée selon une méthode scientifiquement reconnue, n’a encore été publiée».
La raison première de cette situation tient sans doute au caractère politique de la décision de généraliser cet outil de contrôle, qui rappelle le choix similaire fait dans la décennie précédente par le gouvernement anglais, également conservateur, de John Major. Une seconde raison tient probablement au fait que, à la différence cette fois de la situation britannique, le gouvernement français n’a pas voulu encourager l’évaluation scientifique de cette politique publique. Là où le Home Office a financé de nombreux appels à projet en ce sens, sollicitant fortement le monde universitaire et scientifique, le ministère de l’Intérieur français a préféré publier en juillet 2009 un Rapport sur l’efficacité de la vidéoprotection qui s’avère être le fruit d’une sorte d’audit interne commandé aux directions de la police et de la gendarmerie nationales, dont la méthodologie ne permettait pas d’évaluer scientifiquement l’efficacité en question et dont les résultats étaient en réalité connus par avance (Heilmann, Le Goff, 2009). En fait d’évaluation permettant d’ouvrir le débat, il s’agissait donc plutôt d’un argument d’autorité destiné à le fermer. Deux ans plus tard, l’article 17 de la loi « d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure » du 14 mars 2011, venait substituer officiellement l’expression « vidéoprotection » à celle, jugée trop peu valorisante, de «vidéosurveillance», parachevant ainsi la communication politique du gouvernement. Selon la doctrine de l’État, la vidéosurveillance a donc un triple impact potentiel sur la ommission d’actes délinquants: en terme de dissuasion, en terme de repérage de ces faits et en terme d’identification de leurs auteurs. Qu’en est-il dans la réalité? Cet article propose une évaluation se fondant sur une étude de cas considérée comme emblématique, on verra pourquoi. Elle a été réalisée dans le cadre plus général d’un diagnostic local de sécurité d’une petite ville d’environ 19 000 habitants que nous appellerons désormais Saint-Jean-la-Rivière.
Cette étude nous a amené à travailler avec tous les acteurs de la politique locale de sécurité et de prévention, procédant autant que possible par le croisement d’entretiens, d’observations in situ et d’études de données. Dans ce cadre, nous avons obtenu l’accès libre aux services de la municipalité, dont le Centre de supervision urbaine (CSU) rattaché au service de police municipale. Nous y avons séjourné durant le mois de juillet 2012 pour trois séries d’investigation : l’analyse des traces écrites d’activité du service (rapports d’activité sur trois ans, registres de signalements des incidents quotidiens sur trois mois et registres des réquisitions judiciaires sur deux ans et demi), l’entretien individuel approfondi et l’observation libre in situ. Outre les entretiens avec trois des quatre opérateurs de vidéosurveillance et le chef de service, notre étude s’appuiera aussi ponctuellement sur les éléments collectés à ce sujet lors d’entretiens ou de conversations informelles menés avec six policiers municipaux, deux officiers et quatre gardiens de la paix au commissariat de la police nationale, le maire de la ville, la directrice générale des services, la coordonnatrice du Contrat local de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD), le chef et un officier de l’état-major de la Direction Départementale de la Sécurité Publique. Le tout a été complété par la consultation ponctuelle de la presse locale, du magazine de la ville et des archives des séances du Conseil municipal.

1. Le dispositif exemplaire de Saint-Jean La rivière…
le Centre de Supervision Urbaine (CSU) de la ville constitue un service relativement important dans la mesure où il emploie quatre personnes se relayant pour travailler 6 jours sur 7 (du lundi au samedi), de 6h30 du matin à 20h (et jusqu’à 2h du matin en été), auxquelles s’ajoute le chef de service, un policier municipal, qui est affecté au CSU à mi-temps. Le coût global du dispositif (investissement et fonctionnement) est d’environ 320 000 euros en 2012 et plus de 2,3 millions d’euros sur les 5 années précédentes cumulées (hors frais de maintenance). Les coûts de fonctionnement (qui sont essentiellement les salaires des agents) représentant près de 60 % de cette somme. L’aide financière de l’État n’a été que d’environ 27 000 euros en 2012 et de 40 000 euros en cinq ans. Sur ces cinq années (2008-2012), cette aide de l’État n’a ainsi représenté qu’un peu plus de 3 % du budget global du CSU. On peut donc la qualifier de dérisoire. En réalité, la contribution de l’État s’est avérée décisive à l’origine de la création du CSU. En 2004, la subvention de l’État s’était en effet élevée à près de 193 000 euros, ce qui avait permis de «rembourser» 48 % des investissements de la ville pour lancer le système sur les trois premières années (2002-2004). Mais depuis cette date, ce dispositif est quasi entièrement à la charge de la ville.
L’installation de la vidéosurveillance sur la commune constituait un projet majeur de l’ancienne équipe municipale. En 2001, aux élections municipales, Saint-Jean-la-Rivière fait partie de ces communes qui ont basculé de gauche à droite au terme d’une campagne marquée par le thème de « l’insécurité ». Dans ce contexte, le nouveau CSU est apparu comme une « vitrine politique » pour la nouvelle équipe municipale. En 2008, durant la nouvelle campagne électorale, le maire – membre du parti conservateur l’UMP – se félicitait de son bilan en matière de sécurité en l’imputant en premier lieu à la vidéosurveillance, de même qu’il projetait de doubler le nombre de caméras pour couvrir de nouveaux quartiers, tout en augmentant par ailleurs les effectifs de la police municipale. A aucun moment toutefois, nous n’avons trouvé dans les archives ni nous n’avons entendu parler d’un quelconque rapport d’évaluation permettant d’objectiver l’impact de la vidéosurveillance. L’installation de ce système a donc procédé localement de raisons politiques et non d’une analyse des problèmes de délinquance et des réponses à y apporter. Et c’est manifestement aussi pour des raisons politiques que la nouvelle majorité municipale de gauche élue en 2008 s’est progressivement ralliée à la vidéosurveillance au point de faire voter en novembre 2011 l’installation de trois nouvelles caméras (vote à l’unanimité du Conseil municipal).
Sans se livrer à un exercice historique poussé qui dépasserait notre objet, mais dans la mesure où les opérateurs eux-mêmes s’y réfèrent, il convient d’évoquer le fait que le CSU a connu en quelque sorte «deux âges», l’ancien et le nouveau. L’ancien âge (2002-2008) correspond à la création et la montée en puissance du dispositif sous la précédente municipalité. Si le système était largement comparable du point de vue technique, en revanche les personnels n’avaient pas le même statut (ils avaient été recrutés comme «emplois-jeunes»), ils se relayaient 24 heures sur 24, ils étaient encadrés dans une ambiance parfois oppressante eux-mêmes étant filmés à l’intérieur du local et le chef de service (un policier municipal) se faisait transférer les images sur son ordinateur personnel de façon à pouvoir les regarder à son domicile à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. Le CSU était de surcroît un service autonome de la ville. Par comparaison, dans son «nouvel âge» (2009-2012), le dispositif s’est réorganisé et professionnalisé (formation et statut des opérateurs, respect de règles déontologiques, tenue rigoureuse de registres de services et registre de réquisitions, etc.), en même temps qu’il a été intégré au sein du service de police municipale de la ville.
Au moment de notre étude, 19 caméras sont implantées sur la commune, essentiellement en centre-ville, secondairement dans les quartiers du Sud-est. Il faut mettre de côté la caméra fixe qui filtre l’entrée du CSU et retenir donc le chiffre de 18 caméras de surveillance de la ville en juillet 2012 (21 en 2014, conséquence du vote municipal déjà évoqué). Notons ainsi qu’avec 18 caméras pour un peu plus de 18 500 habitants, soit presque une caméra pour 1 000 habitants, Saint-Jean-la-Rivière incarne un standard prôné parfois par les promoteurs de la vidéosurveillance et qui pourtant purement symbolique ou rhétorique 10 . Il s’agit en tous les cas d’une des villes les mieux équipées.
A cela s’ajoute un élément important : le fait que le CSU emploie cinq agents particulièrement performants. Ces cinq personnes ont en effet une double particularité. Premièrement, quatre d’entre eux connaissent très bien le dispositif puisqu’ils y ont été employés sous des statuts divers depuis la création du CSU en 2002. Deuxièmement, ils sont désormais tous des professionnels formés à la tâche et assermentés puisque le chef de service est agent de police municipale et que les quatre opérateurs ont le statut d’Agent de Surveillance de la Voie Publique (ASVP). On est donc loin ici de l’amateurisme qui caractérise encore nombre de dispositifs de vidéosurveillance, dans lesquels les opérateurs n’ont reçu aucune formation spécifique et n’ont souvent qu’une connaissance assez superficielle de l’outil qu’ils utilisent.
Enfin, ce tableau très favorable est encore complété par le fait que le CSU dispose d’un local non seulement agréable mais aussi très bien adapté (conçu pour lui) et d’un matériel techniquement performant (caméras type dômes pouvant tourner à 360 degrés, disposant d’un zoom puissant et d’un haut degré de pixel dans les images). Du reste, les autorités de l’État ne s’y trompent pas. A la préfecture du Gard et à la Direction Départementale de la Sécurité Publique (police nationale), on estime que le dispositif de vidéosurveillance de Saint-Jean-la-Rivière est particulièrement performant, et qu’il s’agit incontestablement du meilleur existant dans le département. L’évaluation d’un dispositif aussi exemplaire n’en sera donc que plus instructive.

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2. Le travail des opérateurs de vidéosurveillance au quotidien…
la «journée type» des opérateurs de vidéosurveillance est rythmée de façon systématique par quelques missions dites de «surveillance spéciale» et de façon aléatoire par la survenance d’incidents ou de demandes d’information. Le reste -qui constitue la plus importante partie du temps est consacré à la «surveillance générale».

2.1. La surveillance spéciale : des rituels précis.
Durant le cours d’une année, il peut survenir certains événements ou problèmes particuliers, localisés dans le temps et dans l’espace. Certains sont prévus longtemps à l’avance, c’est essentiellement le cas des manifestations culturelles et sportives organisées ou accueillies par la ville. A Saint-Jean-la-Rivière, la plus importante est le festival de musique organisé chaque année à la fin du mois de juillet et qui possède une réputation européenne. Durant presque une semaine, plusieurs dizaines de milliers de personnes se déplacent dans le grand parc arboré où a lieu le festival mais également dans toute la ville. Globalement, la population de la ville fait plus que doubler pendant cette semaine. Cette manifestation mobilise fortement l’ensemble des policiers nationaux, des policiers municipaux, des pompiers et du SAMU, jusqu’à très tard dans la nuit. Elle génère en effet quantité de problèmes liés non seulement au stationnement et au transit d’un tel flux de personnes et de véhicules, mais aussi à la santé (l’usage d’alcool et de stupéfiants n’est pas chiffrable mais il est considérable de l’avis de tous les observateurs), à l’hygiène (tel le ramassage des ordures) et à l’ordre public dans de multiples dimensions. Enfin, si tous les acteurs rencontrés s’accordent à dire que le public-type de cette musique ne pose pas en soi de problème particulier de délinquance en dehors de la consommation de stupéfiants, la présence du festival attire aussi des vendeurs illégaux de boissons comme de stupéfiants. Pour toutes ces raisons, le CSU est donc requis en continu pour contribuer à la surveillance du bon déroulement des choses.
A côté de ces événements exceptionnels situés pour la plupart en été, la « surveillance spéciale » est essentiellement dédiée au quotidien et durant le reste de l’année à deux rituels de la vie sociale : les entrées et sorties d’école d’une part, le grand marché du mercredi matin d’autre part. S’y ajoutent des activités plus anecdotiques du point de vue du temps consacré. La première et la plus importante des «surveillances spéciales» est donc celle des enfants se rendant ou sortant des écoles. Les lundis, mardis, jeudis et vendredis (et en partie le mercredi matin), les opérateurs du CSU utilisent 5 des 16 caméras qui permettent de visualiser une partie des établissements scolaires de la commune. A quatre reprises dans la journée (entrées et sorties du matin, entrées et sorties de l’après-midi), durant environ une heure à chaque fois, ils observent les passages piétons sur lesquels les enfants traversent encadrés par un adulte accompagnant scolaire. Cette activité fait partie du projet de service global de la police municipale (qui consacre par ailleurs une patrouille en voiture chaque jour à la surveillance des abords d’un établissement, en changeant ce dernier tous les jours). L’activité des opérateurs consiste donc, dans la limite de l’emplacement des caméras, à surveiller les traversées de rues et le cheminement des élèves entre les bus et la porte des établissements, de même que les problèmes de stationnement gênant et la circulation générale aux abords des établissements. De l’avis des opérateurs, ceci ne génère qu’exceptionnellement des incidents.
Sur l’année scolaire écoulée au moment où a lieu notre étude, les opérateurs rencontrés ne signalent de mémoire que deux incidents : un fauchage d’élèves (heureusement sans blessé grave) par un véhicule (avec délit de fuite) et une série de petites bagarres aux abords d’un même collège.
A l’aide des registres de service du CSU, nous avons tenté de mesurer le poids de cette surveillance scolaire dans l’ensemble des activités du CSU hors période de vacances scolaires. Et avec 440 heures sur l’année 2011 et en excluant les 16 semaines de vacances scolaires, nous sommes parvenu au chiffre important de 18% sur le reste de l’année (36 semaines). La deuxième grande surveillance spéciale ordinaire est celle qui concerne le marché du mercredi matin. Avec parfois près de 200 commerçants s’installant dans les rues en plus des boutiques permanentes, la ville est réputée pour l’importance de son marché. Celui-ci justifie l’existence d’un poste spécifique de placier qui est rattaché au service de police municipale. De 6h30 du matin jusqu’au début d’après-midi, cet événement hebdomadaire mobilise fortement la police municipale, les services techniques de la ville et le CSU. Celui-ci est en effet utilisé en doublon systématique des agents sur le terrain, essentiellement au début et à la fin du marché, pour repérer les véhicules et les encombrants gênants, mais aussi par intervalles tout à long de la matinée pour surveiller notamment les fréquents vendeurs à la sauvette et les éventuels voleurs à l’étalage. On verra tout à l’heure dans les statistiques d’incidents que ces deux types de problèmes de petite délinquance ne surviennent cependant que de façon exceptionnelle. Au total, on ne peut faire qu’une estimation imprécise du temps consacré à la surveillance du marché par un agent le mercredi matin. Nous la situons entre 3 et 4 heures pleines, soit 156 et 208 heures par an, c’est-à-dire environ 5% du temps de travail global des agents du CSU.
A ces deux grandes opérations ritualisées s’ajoutent enfin des surveillances régulières mais beaucoup plus limitées dans le temps. Il s’agit notamment ici de la surveillance du parcours de l’ASVP qui relève les horodateurs une fois par semaine, transportant de fait de l’argent liquide, à qui toutefois il n’est jamais rien arrivé car il respecte les règles élémentaires de sécurité - notamment le fait de faire sa collecte à des jours et des heures différents chaque semaine « afin de ne pas être repéré » (entretien avec l’agent concerné, juillet 2012). Cette surveillance s’avère donc avoir surtout pour fonction d’assurer une sorte de confort psychologique à l’agent.
2.2. La surveillance générale : une absence d’objectif suscitant un intense ennui.
Voici un extrait de notre carnet de terrain, qui donne quelques indications sur le contexte ou l’ambiance de travail dans la salle des opérateurs de vidéosurveillance.
CSU. Fin de matinée. Je suis en train de dépouiller les fiches d’activités journalières du service sur le mois précédent. Le chef de service est parti déjeuner avec ses collègues au local de la police municipale. Nous avons convenu avec l’opérateur que l’entretien aurait lieu dans quelques minutes.
Le matin même, un agent de la police nationale est passé au CSU pour demander un enregistrement d’images. L’opération technique a été rapidement effectuée, mais les personnes ont pu bavarder quelques minutes.
Je reviens sur la fiche de la veille pour savoir si cet agent a traité des situations particulières. Je constate qu’il ne s’est rien passé entre sa prise de service à 06h30 et sa fin de service à 12h40. Je l’évoque assez rapidement après le début de l’entretien:
Question : « hier c’est un jour où il ne s’est pas passé grand chose on dirait. Vous vous êtes ennuyée ? »
Réponse : « ça ! » (la personne hausse les sourcils en même temps qu’elle hoche la tête)
Question : « c’est souvent comme ça ?
» Réponse : « oui, mais là ce matin ça va, y’a le brigadier de la police nationale qui est venu demander une image, c’est bien ».
En cumulant toutes les formes de surveillance spéciale, on parvient à peine à remplir un quart de l’activité journalière moyenne des opérateurs. Par conséquent, s’il n’y avait pas des oments où les agents du CSU sont interpelés par ce qu’ils voient ou bien appelés par d’autres agents, plus des trois quarts de leur temps serait occupé par ce que l’on appelle la « surveillance générale ». C’est là que les agents regardent à la fois tout en général et rien en particulier. C’est là que « il faut avoir de l’expérience et savoir un peu sentir le terrain, avoir de l’instinct » me dit le chef de service au début de notre entretien, avant de reconnaître sur la fin que « c’est difficile pour les agents, les journées sont très longues quand il n’y a pas d’affaires, souvent ils regardent l’heure et je les comprends ». Cet opérateur qui compte parmi les plus motivés de l’équipe ne dit pas autre chose:
« C’est la routine totale. Tous les jours c’est pareil, ça nous change seulement un peu quand y’a des réquisitions ou des demandes de surveillance particulière par les OPJ du commissariat. (...) Le pire c’est l’hiver, à partir de novembre il se passe plus rien après 18 heures. Et le samedi aussi, c’est terrible. Heureusement y’a les mariages, on surveille quand ça créé des problèmes de circulation. (...) Et puis on n’a aucun contact avec personne ici. On est un peu enfermés.».
La totalité des observations et des entretiens confirment la conclusion de Le Goff (2013) : la première dimension de la vie quotidienne des opérateurs de vidéosurveillance n’est autre que l’ennui. Le rythme de leur vie professionnelle quotidienne ressemble un peu en cela à celui des policiers de terrain lorsqu’ils sont affectés à une surveillance à un point fixe : il est fait de longues plages d’ennui entrecoupées de moments d’excitation plus ou moins intense selon les incidents qui surviennent ou les contrôles qu’ils déclenchent. Mais les policiers qui se trouvent dans cette situation sont toujours au moins deux et peuvent ainsi au moins bavarder.
A l’inverse, les opérateurs de vidéosurveillance sont généralement seuls lorsqu’ils travaillent l’après-midi (le chef de service n’est présent au CSU que le matin). C’est donc l’ennui doublé de la solitude qui constituent ce que l’on pourrait appeler leur inconfort professionnel quotidien. Face à cette double situation d’ennui et de solitude, les opérateurs tentent donc de « tuer le temps » selon l’expression même de l’un d’eux. Nos journées d’observations in situ ont 10pleinement corroboré cet état de fait. Une radio est allumée en permanence au CSU, diffusant de la musique à très faible volume mais en continu, comme pour conjurer le caractère déprimant du silence total qui, sinon, s’installerait durant des heures, entrecoupé seulement par les sons du réseau radio de la police municipale qui est allumé en continu et émaillé de temps à autres de messages du genre : « Alpha 3 pour Central, je suis arrivé sur les lieux, je fais le point et je rappelle en partant ». Les matinées sont moins rudes que les après-midis en raison de la présence fréquente du chef de service ou d’un autre ASVP gradé. La venue quotidienne de l’agent de service est aussi l’occasion de quelques contacts et d’un café partagé. Enfin, à chacun de nos jours de présence, nous avons vu au moins une fois un ou plusieurs policiers municipaux et/ou ASVP venir passer quelques minutes du CSU, le temps de boire un café et d’échanger quelques informations, ou bien simplement quelques bavardages et quelques plaisanteries. A deux reprises au cours desquelles des plaisanteries ont fusé, nous avons du reste pu constater qu’elles portaient principalement sur le fait que les opérateurs du CSU n’avaient pas beaucoup de travail... «Tuer le temps» donc, encore une fois. Les appels téléphoniques et les échanges de SMS extra-professionnels ne sont pas interdits même en présence du chef de service (mais ils sont logiquement plus fréquents lorsque les opérateurs sont seuls). Nous avons pu constater enfin que certains opérateurs à la motivation plus grande s’imposent des séries de vérifications pour occuper le temps. Selon le chef de service, 3 des 4 opérateurs sont des personnes toujours motivées et « très professionnelles ». Le quatrième aurait au contraire « lâché l’affaire » et se contenterait de « faire ses heures ».
Comment mesurer les phénomènes que l’on vient de décrire ? On ne saurait quantifier l’ennui. Il est en revanche possible de compter les moments où les opérateurs sont saisis d’un incident à gérer et se mettent donc subitement en mouvement. Le rapport d’activités de l’année 2011 indique 811 faits traités (c’est-à-dire pris en charge d’une façon ou d’une autre et notés dans le registre d’activité du service) par les opérateurs sur l’ensemble de la commune. Le CSU employant 4 opérateurs qui se relayent en permanence, cela donne une moyenne de 203 faits traités par agent et par année. Ces quatre opérateurs ont environ 6 semaines de congés, on calculera donc sur la base de 46 semaines de travail. Ils travaillent par ailleurs 6 jours sur 7. L’on peut alors rapporter le nombre moyen de faits traités au nombre de jours travaillés et l’on obtient le chiffre de 0,7 fait par jour et par agent. En d’autres termes, sur une semaine de 6 jours, un agent aura en moyenne un fait quotidien à traiter pendant 4 jours et 2 autres jours durant lesquels il n’en aura aucun.
2.3 Une activité générale qui s’est réduite avec le temps...
Les trois personnes interviewées qui ont connu le CSU dans sa première phase nous l’ont onfirmé : l’activité s’est fortement réduite au fil des ans et c’est précisément le volet « lutte contre la délinquance » qui a progressivement disparu. En cause, le déplacement de la délinquance. « Au début on s’ennuyait pas. Mais au bout de quelques années les gens ont compris qu’on était là. Le [quotidien régional] en parlait aussi. Et puis les gens ont bien vu où étaient les caméras. D’ailleurs on a des dégradations ».
« Quand je suis arrivée, il y avait beaucoup d’activité, on faisait beaucoup de stupéfiants, maintenant on ne fait plus rien. Les jeunes savent où sont les caméras et ils se sont déplacés là où ils savent qu’on ne peut pas les voir. ls nous l’ont confirmé au commissariat. ».
Voici une donnée intéressante et qui complique l’évaluation de la vidéosurveillance.
L’hypothèse classique du déplacement de la délinquance sur un tout petit périmètre (non d’une commune à une autre comme les élus le fantasment parfois) se trouve ici directement exprimée par l’expérience des agents qui témoignent du fait que les caméras non seulement ne passent pas inaperçues dans une petite ville, mais encore qu’elles modifient les habitudes d’occupation de l’espace public.
C’est du reste aussi ce que signalent les dégradations régulières dont certaines caméras sont l’objet. Tel est le cas en particulier des deux caméras installées au cœur d’un des quartiers pauvres de la ville. Jets de pierres, tirs de carabine, disjoncture de la borne électrique de secteur, sectionnage de câbles... les opérateurs ont tout vu ces dernières années. Et si deux d’entre eux attribuent cela simplement à « la malveillance de ceux qui ne veulent pas qu’on voit ce qu’ils trafiquent » ou au « jeu stupide de jeunes qui s’ennuient », un troisième opérateur émet une hypothèse qui nous semble plus intéressante (que nous n’avons hélas pas pu confirmer auprès du commissariat de police dont la totalité des cadres a été renouvelée depuis le moment de cette observation) :
«Au début, donc vers 2003, on avait des consignes de signaler au commissariat les regroupements de jeunes dans les halls d’immeuble, parce que certains arrêtaient la voiture devant l’entrée et mettaient la musique à fond et que les voisins n’en pouvaient plus. Mais les policiers, quand ils arrivaient et que les jeunes disaient «non non, c’est pas vrai, on vient juste d’arriver», ils répondaient «si si, les caméras vous ont vues». Ça devait bien les énerver contre nous.»
Ces incidents sont concentrés dans le quartier indiqué, mais les relations entre groupes de jeunes désœuvrés et opérateurs de vidéosurveillance se poursuivent ces dernières années jusqu’en centre-ville. Ainsi, les opérateurs ont tous évoqué plus ou moins longuement l’espèce de «jeu du chat et de la souris » auquel les jeunes se livrent de temps à autre vis-à-vis d’eux sur la place de mairie. Deux caméras permettent de surveiller cette place hautement symbolique qui est devenu ces dernières années un lieu de tension et par moments d’une sorte de minuscule guerre picrocholine de territoire entre des petits groupes de jeunes désœuvrés et les représentants de la mairie. La chose est vraie des policiers municipaux sur le terrain et elle l’est également des opérateurs de vidéosurveillance. L’un d’entre eux nous a décrit longuement ces scènes où des jeunes s’amusent véritablement avec les caméras et les opérateurs dont ils devinent d’autant mieux la présence derrière les caméras qu’ils ont manifestement repéré -à travers la vitre du globe qui les entoure- le mouvement et le léger bruit que ces dernières faisaient en tournant. De sorte qu’ils savent souvent si leur manège a ou non attiré l’attention de l’opérateur. Implantée à moins de 4 mètres du sol, la principale caméra de la place de la mairie filme ainsi régulièrement des jeunes qui lui adressent des insultes devinables sur leurs lèvres et des gestes obscènes très explicites, qui font éventuellement semblant de dissimuler des choses (voire qui miment un deal de drogue), qui se cachent sous une arcade pour ressortir à un autre endroit de la place et regarder si la caméra a suivi... C’est bien un «jeu» dans le terme même employé par tous les opérateurs interviewés, l’un d’eux ayant ajouté à propos de ces jeunes : «eux aussi ils tuent le temps».
On est loin, décidément, de la lutte contre la délinquance. Reste à voir si l’on s’en rapproche quand s’ouvre le temps de l’action.

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3. Les signalements d’incidents par les opérateurs de vidéosurveillance. Il est impossible de mesurer le nombre d’incidents signalés de façon spécifique et première par les opérateurs de vidéosurveillance, donc de savoir si les incidents repérés par les opérateurs n’auraient pas été signalés tôt ou tard par d’autres acteurs présents sur le terrain.
Un exemple illustre bien ce problème. Il nous a été raconté par un opérateur à qui nous demandions vers la fin de l’entretien ce qu’il pensait en fin de compte de l’intérêt de la vidéosurveillance. En guise de réponse, l’opérateur nous a livré ce qui constitue pour lui son souvenir le plus marquant et le plus valorisant :
«c’était un jour où il y avait une sortie scolaire, je suivais un groupe d’élèves et leurs professeurs qui remontaient sur le trottoir. Soudain j’ai vu un enseignant qui est tombé d’un coup par terre, tête la première, et qui ne s’est pas relevé. C’était un prof de sport et il venait de faire un malaise cardiaque. Certains avaient des téléphones portables mais comme je l’ai vu en direct, j’ai appelé tout de suite les secours qui sont arrivés très vite. On a fait un massage cardiaque au gars et il s’en est sorti. On l’a revu après, il est venu nous remercier. Et c’était un gars qui ne croyait pas à la vidéosurveillance avant ça, il nous l’a dit !» (opérateur)
Tous les ingrédients de la «belle histoire » sont réunis ici. Mais rappelons ce passage que nous avons mis en italiques : «certains avaient des téléphones portables». Dans cette histoire, l’opérateur qui, par hasard, observait attentivement le groupe de personnes au moment crucial, a précédé un appel au secours qu’aurait lancé quelques secondes après un acteur présent sur le terrain. S’il est donc exact que l’incident a été signalé par l’opérateur de vidéosurveillance, il est inexact d’en déduire qu’il n’aurait pas été signalé sans lui et/ou qu’il a été réglé grâce à lui. Ce problème que l’on vient d’entrevoir de façon très empirique prend toute sa dimension au plan statistique.
Dans la façon dont il organise ses statistiques d’enregistrement d’activité, le CSU s’intéresse logiquement avant tout à l’activité du service. Il compte donc ses interventions. Mais dans ce comptage, il amalgame toutes les interventions qu’il a déclenchées et qui ont mobilisé ses agents quelle que soit l’origine du signalement. Ainsi, le rapport d’activités de l’année 2011 indique « 811 faits signalés par les opérateurs ».
Puis il détaille chaque caméra en parlant cette fois de « faits constatés » sur la page indiquant l’emplacement de la caméra et de « faits traités » sur la page suivante détaillant le type de faits concernés pour cette même caméra.
Derrière ces mots, ce sont pourtant des réalités différentes qui se cachent et donc des calculs différents qui s’imposent. Notre problématique consiste à tenter de mesurer ce que les opérateurs ont détecté du fait de leur activité de surveillance générale (en proactivité en quelque sorte), et non de mesurer le nombre de vérifications qu’ils ont effectué parce qu’ils ont reçu un appel et un signalement précis (en réactivité en quelque sorte). Or, en l’espèce, la claire distinction des deux types d’action dans les traces écrites qu’elles ont laissées est impossible sauf lorsqu’il est explicitement mentionné que le CSU a été saisi de demandes extérieures, à commencer par celles de la police nationale, de la gendarmerie et de la police municipale. En soustrayant ces requêtes, nous tombons de 811 à 689 faits traités sur les 16 caméras. En consultant le rapport d’activité du «pôle sécurité», après avoir passé en revue l’activité des 16 caméras, l’on parvient ensuite à une page mentionnant « 108 faits traités sur le reste de la commune ». Comme nous l’a confirmé le responsable du CSU, il s’agit bien ici intégralement de requêtes extérieures sans rapport avec l’activité des opérateurs du CSU. Au final, ce sont donc 581 faits (et non 811) que l’on peut retenir comme base de calcul des incidents détectés par les caméras, sans savoir toutefois si ces incidents ont été détectés en premier par les caméras ou bien si l’attention des opérateurs du CSU a été attirée par un appel d’agents de terrain 15 . Par exemple, dans le cas du dysfonctionnement de feux tricolores (type de fait statistiquement non négligeable), nous avons vu qu’il s’agissait le plus souvent de signalements provenant d’appels d’agents en patrouille. Au terme de ces calculs, nous avons donc pu constituer un tableau qui ventile par type de problèmes les incidents traités par le CSU sur le deuxième semestre 2009 et sur les années 2010 et 2011. Et il en ressort un premier constat majeur : dans leur flux d’activité quotidien, les opérateurs de vidéosurveillance ne s’occupent de problèmes de délinquance que de façon très marginale. Si l’on additionne les violences sur la voie publique, les dégradations de biens publics (type Tags), la délinquance routière, les vols et les usages de stupéfiant, l’on parvient à seulement 6% des incidents traités. Arrive ensuite une activité de surveillance proprement dite relative à des personnes recherchées (cas de fugues d’enfants ou de personnes très âgées s’étant perdues) ou signalées comme suspectes (de même que des animaux signalés comme en fugue ou dangereux), à des intrusions potentiellement malveillantes dans des bâtiments publics, à des mendiants et SDF sans doute soupçonnés de pouvoir troubler l’ordre public ou encore des interventions à risque menées par les pompiers. Arrive enfin l’essentiel : ce que l’on pourrait qualifier de gestion des problèmes matériels de la voie publique, qui correspond aux quatre premières rubriques du tableau 1, ainsi qu’à une partie des cas d’assistance aux pompiers. Du signalement des problèmes de salubrité et d’occupation potentiellement illégaux de la voie publique (encombrants, travaux, déménagements, livraisons, etc.) au repérage de dysfonctionnements dans les bornes d’accès à la zone piétonne ou dans les feux tricolores, en passant par le stationnement illégal de véhicules et la vérification de l’ensemble des arrêtés municipaux, cette gestion des problèmes matériels de la voie publique occupe en réalité 80% des interventions des opérateurs de vidéosurveillance, en liaison avec les policiers municipaux et les services techniques de la ville. Et si l’on veut y ajouter les problèmes humains posés sur la voie publique autres que les problèmes de délinquance (donc si l’on ajoute ici la mendicité, la recherche de personnes en fugue, le repérage d’une chute ou d’un malaise sur la voie publique...), l’on peut dire au fond que toute la part restante (soit près de 94%) de la estion d’incidents concerne des problèmes matériels ou humains survenant sur la voie publique. C’est donc bien ce que l’on appelle parfois la gestion urbaine de proximité qui constitue l’activité fondamentale des opérateurs de vidéosurveillance dans leur flux d’activité quotidien, et non la lutte contre la délinquance. Celle-ci apparaît en revanche à un autre moment: lorsque les opérateurs sont saisis de ces questions par d’autres agents.

4. La contribution du CSU aux enquêtes de police judiciaire.
En 2011, le CSU a reçu 138 demandes de consultation d’images, dont près de 85% émanent du commissariat de police. Ces 138 demandes n’ont permis de retrouver des images en lien avec les affaires que dans 43 % des cas. Et une image en lien avec une affaire n’est pas pour autant une image utile à l’enquête judiciaire. Ainsi, au final, sur 138 demandes et 59 recherches d’image fructueuses, il n’y a eu que 43 réquisitions en bonnes et dues formes, soit 31 % des cas de demande de consultation. L’année précédente avait été moins bonne encore :
en 2010, ce sont 117 demandes d’image qui ont été enregistrées (dont 80% émanant de la police nationale). Elles se sont avérées fructueuses dans seulement 27% des cas et ont donné lieu à des réquisitions dans seulement 24% des cas. Retenons donc que dans 70 à 75% des cas es demandes d’images effectuées par les forces de l’ordre auprès du CSU ne sont pas suivies d’effet. Dans les cas restant, de quoi s’agit-il ?
Nous avons dépouillé le registre des réquisitions sur deux ans et demi: de janvier 2010 à juin 2012. 90 réquisitions ont été envoyées au CSU durant cette période, soit 36 par an en moyenne. 73 % ont émané de la police nationale, c’est-à-dire pour l’essentiel du commissariat e Saint-Jean-la-Rivière. 27% ont donc émané de la gendarmerie nationale, mais avec ici une grande dispersion dans les services concernés (brigades ou communautés de brigades des alentours de la ville mais aussi brigades et même sections de recherches des départements et régions environnantes). Au final, retenons surtout que les demandes de réquisitions émanent plus de 7 fois sur 10 du commissariat de police de la ville. En quoi consistent-elles ?
d’une infraction au moment crucial se chiffrent à 55 sur deux ans et demi (61 % de l’ensemble des réquisitions), soit moins de 2 par mois. Quant aux infractions poursuivies, il s’agit dans la moitié de cas de vols (simples ou aggravés).
Avec 43 réquisitions judiciaires en 2011 (et sans doute à peu près autant en 2012 au vu du premier semestre), le CSU a retrouvé le niveau maximal de performance répressive atteint dans la première phase du système : 41 réquisitions en 2006 et 40 en 2007. Mais comment juger de l’importance ou de la faiblesse de ce chiffre ? En d’autres termes, quel est le poids de cette aide à l’élucidation des affaires qui est proposée par la ville aux forces de l’ordre? Pour le savoir, il faut se tourner vers les données policières de la circonscription, d’abord pour poser quelques constats généraux sur la délinquance enregistrée, ensuite pour poursuivre nos calculs sur l’impact éventuel de la vidéoprotection.

5. Peut-on mesurer l’impact du dispositif sur la délinquance ?
Partons du postulat ordinaire, vague mais partagé par nombre d’acteurs, selon lequel « la vidéosurveillance a un impact sur la délinquance ». Et testons-le à ce niveau de généralité avant de préciser comment des calculs plus pertinents peuvent être effectués. 1 125 crimes et délits ont été enregistrés par la police nationale sur la circonscription de Saint-Jean-la-Rivière en 2010, 1 031 en 2011. C’est un peu moins qu’en 1993, plus ancienne année que nous avons pu reconstituer. Et c’est un peu plus qu’en 2002 et 2003, soit le moment où la vidéosurveillance a été mise sur pieds dans la ville. Ce premier élément contredit donc l’hypothèse selon laquelle il existerait donc un impact global dissuasif de cette technologie sur un territoire. Comme l’indique la figure 3, la seule baisse significative du total des crimes et délits constatés par la police nationale sur la commune a eu lieu en réalité dans les trois années qui ont précédé l’installation de la vidéosurveillance : entre 2000 et 2002. L’année 2004 qui a suivi cette installation a connu au contraire un pic important. Quant à l’année suivante encore (2005), elle voit à l’inverse une baisse mais bien moins importante et qui est par ailleurs générale dans le département. Tout ceci indique donc que les mouvements statistiques généraux de la délinquance enregistrée n’ont en réalité aucun lien fondamental avec la vidéosurveillance. A ce niveau de généralité, l’opinion ordinaire sur l’impact de la vidéosurveillance s’avère donc fausse. Mais qu’est-ce que « la délinquance »? Un tel agrégat n’a en réalité pas de sens. Et, même en théorie, la vidéosurveillance n’est pas destinée à combattre n’importe quelle forme de délinquance. La cible est bien plutôt ce que les policiers appellent « la délinquance de voie publique », c’est-à-dire principalement les vols et cambriolages, secondairement les dégradations, les rixes et diverses autres formes de trouble à l’ordre public. Affinons donc l’analyse en nous concentrant sur le cœur de la délinquance dite de voie publique que constitue l’ensemble des vols et cambriolages (541 faits constatés en 2011, soit 52,5 % du total des crimes et délits constatés). Si le rapport établi par un cabinet d’études privé en 2007 à l’occasion de la signature du Contrat local de sécurité « nouvelle génération » évoquait une baisse de la « délinquance de voie publique » et l’attribuait à la vidéosurveillance, les données présentées dans le tableau 3 montrent qu’il s’agissait d’un désir et non d’une réalité. Comme souvent, la courbe des vols et cambriolages a la même allure que celle du total de la délinquance enregistrée dont elle constitue le cœur. Et elle ne permet pas davantage d’argumenter en faveur de l’hypothèse d’un impact significatif de la vidéosurveillance sur le niveau des délinquances constatées par les forces de l’ordre.
Signalements et réquisitions : la part très marginale de la vidéosurveillance
Concernant à présent la contribution de la vidéosurveillance aux enquêtes de police judiciaire, trois calculs sont nécessaires malgré leur caractère fatalement approximatif.
Premièrement, nous avons vu précédemment qu’en 2010 le CSU avait signalé 20 faits potentiellement poursuivables par la police nationale comme des actes délictuels (rixes, dégradations, vols et stupéfiants), ce qui représentent donc au maximum 1,8% de l’ensemble des 1 092 crimes et délits traités par la police la même année, et au maximum 2,8% d’un sous-ensemble plus adapté qu’on pourrait qualifier de «délinquance de voie publique élargie» comprenant les vols et cambriolages, les dégradations, les affaires de stupéfiants et quelques rixes.
Deuxièmement, si l’on isole les réquisitions émanant du commissariat de police concernant une recherche d’image permettant d’identifier un ou plusieurs individus (soit 19 réquisitions en 2010 et 34 en 2011) et qu’on les rapporte à l’ensemble des personnes «mises en cause», c’est-à-dire transmises à la justice (soit 425 personnes en 2010 et 378 en 2011), il s’avère qu’elles représentent un poids de 6,6% sur l’ensemble des deux années, sans que l’on sache si les images réquisitionnées ont joué au final un rôle quelconque dans l’élucidation policière des affaires, et sans que l’on sache non plus (et encore moins) si elles ont joué par la suite un rôle quelconque dans le traitement judiciaire de l’affaire et dans l’éventuelle condamnation des concernés.
Enfin, si l’on rapporte le nombre de réquisitions non pas simplement au nombre de personnes mises en cause mais au nombre de faits constatés, le résultat est naturellement beaucoup plus faible encore. Ainsi, nous avons vu que le premier motif de réquisitions concernait les vols et cambriolages, catégorie de délinquance de voie publique qui est par ailleurs de loin la plus importante sur la commune. Par exemple, avec 10 réquisitions pour vol ou cambriolage en 2010, et un total de 473 faits constatés de ce type la même année, les images fournies par le CSU n’ont potentiellement contribué à l’élucidation des actes délinquants concernés que dans 2,1% des cas.
A travers ces différents calculs et ces résultats néanmoins convergents, il apparaît que le dispositif de vidéosurveillance, même dans les conditions quasiment optimales dans lesquelles il fonctionne à Saint-Jean-la-Rivière, joue un rôle relativement marginal et uniquement répressif dans la lutte contre la délinquance. Nous avions esquissé les mêmes types de calculs il y a quelques années sur une moyenne (Saint-Etienne) et une grande (Lyon) villes, en nous basant sur les données publiées dans les rapports des chambres régionales des comptes. Il en ressortait que la contribution de la vidéosurveillance à la lutte contre la délinquance était bien plus modeste encore, les chiffres obtenus à Lyon et Saint-Etienne étant de moitié inférieurs à ceux auxquels nous arrivons à Saint-jean-la-Rivière. Enfin, au terme des éléments qu’elle avait pu amasser, la Cour des Comptes parvenait à des résultats similaires : « Malgré un usage désormais plus répandu, la proportion des faits de délinquance élucidés grâce à la vidéosurveillance de la voie publique est relativement faible. Dans les quinze Circonscriptions de Sécurité Publique qui ont pu fournir des éléments pour l’année 2008, le rapport d’enquête en comptabilise 749, soit environ 3 % de l’ensemble des faits élucidés ».

des caméras partout
Conclusions : faire une politique de sécurité ou faire de la politique avec la sécurité ?
Au terme de cette étude, il apparaît que la vidéosurveillance n’est pas fondamentalement une technique de lutte contre la délinquance. C’est du reste la conclusion à laquelle arrivent aussi la plupart des évaluations scientifiques réalisées notamment en Grande-Bretagne depuis une vingtaine d’années. Dès lors, comme le relevaient déjà les chercheurs Britanniques, les dispositifs de vidéosurveillance se trouvent fréquemment détournés de leurs buts initiaux et utilisés à d’autres fins. En l’espèce, le dispositif de vidéosurveillance de Saint-Jean-la-Rivière sert principalement à faciliter, améliorer et rendre au fond plus confortable pour les agents municipaux un ensemble de tâches quotidiennes que le langage administratif appelle parfois la «gestion urbaine de proximité». Ces détournements s’avèrent utiles à la fois pour les personnels qui ont besoin de justifier leur emploi, et pour les élus qui sont souvent conscients du faible rapport coût/avantage du dispositif. Parmi les détournements les plus économiquement rentables pour les municipalités, figure du reste la vidéoverbalisation. Reste à comprendre pourquoi les pouvoirs publics continuent, en France, à entretenir la croyance selon laquelle la vidéosurveillance constitue un outil indispensable de lutte contre la délinquance, et pourquoi cette croyance s’avère très répandue parmi les élus locaux.
Au plan national, le gouvernement a promu une technologie sensée révolutionner la lutte contre la délinquance, parce qu’elle permettrait en fin de compte de confronter les dénégations du délinquant à l’irréfutable preuve par l’image. Cette représentation a tiré sa puissance d’au moins trois ressources. La première est que, entre 2007 et 2012, il s’est agi de la doxa du discours du gouvernement français, qui s’est imposée à toute l’administration, à commencer par le corps préfectoral chargé de développer cette priorité politique sur le terrain, les corps policier et gendarmique étant régulièrement convoqués localement pour appuyer le discours et défendre un système dont ils sont de fait les principaux bénéficiaires. Une forte communication gouvernementale s’est développée. A travers une rubrique de son site Internet spécialement dédiée à la vidéoprotection, le ministère de l’Intérieur a ainsi, pendant plusieurs années, publié chaque mois un communiqué présentant les «Affaires résolues grâce à la vidéoprotection durant le mois». Dans celui du mois de mars 2012 (le dernier publié avant les dernières élections présidentielles), le ministère fait ainsi état de quatorze affaires racontant toutes la même histoire, à l’image de cet exemple :
« Vols sous la menace d’une arme blanche commis sur plusieurs arrondissements parisiens:
Début mars, plusieurs vols étaient commis dans des magasins de produits surgelés de la capitale, par un individu qui menaçait les employés à l’aide d’un couteau. L’exploitation des systèmes de vidéoprotection des établissements fournissait la description détaillée de l’auteur. Elle était fournie aux services de sécurité de cette enseigne. Le 16 mars un magasin du 9ème arrondissement signalait la présence du suspect aux abords du commerce. Interpellé, il reconnaissait les faits. Il était déféré et placé en détention provisoire.»
Cette communication gouvernementale fonctionne ainsi sur le modèle journalistique du fait divers (en l’occurrence la «belle histoire») érigé en règle générale. On notera qu’il s’agit cependant d’images fournies par un système privé de vidéosurveillance, et non d’un dispositif équipant la voie publique. La lecture des quatorze affaires indique du reste qu’elles concernent dans douze cas des systèmes équipant des commerces (magasins, stations-services, débits de boissons, etc.), des banques (notamment les caméras situées au-dessus des distributeurs de billets), des bâtiments publics (un hôpital). Cette communication est donc largement mensongère.
La seconde raison du succès de la vidéosurveillance est le couplage entre la forte incitation financière de l’État et l’importance de l’activité de lobbying développée par les industriels du secteur. L’État a cofinancé le développement de la vidéosurveillance par le biais du Fonds Interministériel de Prévention de la Délinquance (FIPD), géré localement par les préfets. De 2008 à 2012, le FIPD a consacré près des deux tiers de ses fonds à l’aide à l’installation des réseaux de caméras. Au total, 150 millions d’euros ont été investis par l’État dans cette technologie entre 2007 et 2013, et au moins autant par les collectivités. Début 2014, environ 40 000 caméras surveillent ainsi une partie de l’espace public dans quelque 2 000 communes. De leur côté, les industriels ont vu dans cette politique d’État une véritable aubaine ainsi qu’un partenariat très efficace. Ils ont été d’emblée associés par le biais d’un puissant lobby: l’Association nationale de la vidéoprotection (AN2V), créée en 2004, soutenue par l’État et financée par les industriels du secteur. Le résultat est assez spectaculaire. Le marché mondial de la vidéosurveillance avait déjà plus que doublé de volume dans les années 1990. Et cette tendance s’est poursuivie puisque ce marché connaît des taux de croissance annuelle à deux chiffres depuis les années 2000 et atteint 16 milliards de dollars en 2014. En France, une société réalisant des études de marché pour les industriels estimait en août 2014 que ce marché avait également connu une forte croissante ces dernières années (+ 9% en 2011) et qu’il a ainsi «été épargné par la crise». Cette croissance du marché de la vidéosurveillance est d’autant plus notable que celui, plus large, de la sécurité privée est plutôt en stagnation, notamment dans le secteur du gardiennage. Le directeur du magazine « En toute sécurité » attribuait cette croissance à « une demande soutenue », « une réglementation favorable » et « un œil bienveillant de la part des pouvoirs publics ». En 2012, il estimait que « les ventes cumulées des divers opérateurs de vidéosurveillance (intégrant les métiers de la fabrication, de la distribution, de l’intégration et de l’installation) ont dépassé le milliard d’euros. La part du service (conception, installation, maintenance) représente 60% du total, soit une plus forte proportion que dans les autres métiers de la sécurité électronique comme le contrôle d’accès ou l’alarme ». Il se félicitait ainsi que les acteurs publics, au premier rang desquels les collectivités territoriales, « se sont massivement convertis à la vidéosurveillance, notamment parce que les réticences des organisations politiques et syndicales, craignant d’éventuelles manquements aux libertés individuelles, se sont largement estompées ». Il citait alors en exemple le projet « Mille caméras » de la préfecture de police de Paris « qui a obtenu l’aval de la majorité de gauche de la mairie », opération jugée « également symbolique par sa complexité technique, par l’ampleur du contrat (plus de 200 M€) et par la collaboration entre sphère publique (préfecture de police, mairie, État) et privée». C’est bien une victoire politique que célèbre ainsi l’industriel de la vidéosurveillance : « des dizaines de villes ayant à leur tête des responsables politiques de tendance socialiste ou plus à gauche ont financé un réseau de vidéosurveillance urbaine », grâce à «la politique fortement incitative du gouvernement (subvention des projets, démarches administratives simplifiées, textes réglementaires plus souples) [qui] a également contribué à l’installation de caméras dans les villes».
Il est intéressant de constater que l’étude de marché précitée considère globalement la sécurité comme « un marché très émotionnel », précisant que « les faits divers et les médias attisent les craintes et stimulent la demande en équipements de sécurité ». De fait, une troisième raison du succès de cette politique est probablement le concours que lui prêtent de facto les médias dont le goût prononcé pour les faits divers n’est plus à démontrer. La place de ces faits divers n’a, de fait, cessé d’augmenter dans les journaux télévisés : «de 1191 sujets en 2003 à 2062 sujets en 2012, la rubrique faits divers enregistre une augmentation quasi constante sur la période, passant en 10 ans, de 3,6% à 6,1% de l’offre globale d’information, soit en moyenne de 3 faits divers par jour à 5». Dès lors, nous faisons l’hypothèse que, concrètement, le service de police, le maire ou le préfet qui envoie un communiqué de presse au quotidien local en lui relatant l’arrestation spectaculaire d’un voleur récidiviste confondu par la vidéosurveillance, est ainsi à peu près sûr de décrocher sinon un article du moins une brève dès le lendemain. Une rapide recherche sur les archives électroniques de la presse quotidienne locale confirme aisément cette hypothèse et permet aussi de vérifier que, a contrario, ne sont jamais mentionnées les procédures dans lesquelles la présence de caméras n’a pas aider les enquêteurs de police, ni celles dans lesquelles l’existence d’images enregistrées a permis d’innocenter les personnes suspectées par les forces de l’ordre.
Enfin, localement, le choix de la vidéosurveillance apparaît le plus souvent comme une décision d’élus cherchant à afficher leur action en matière de politique de sécurité . Certes, ils sont en cela confortés par des acteurs locaux de la sécurité qui y trouvent également leur compte, que ce soit en terme d’efficacité pratique (pour les policiers nationaux et les gendarmes) ou de reconnaissance symbolique (pour les policiers municipaux). Mais d’autres raisons plus lourdes les y poussent davantage. D’abord, localement comme nationalement, le thème de l’insécurité constitue une ressource électorale classique pour les élus conservateurs. En ce sens, « l’insécurité est moins un problème qu’une solution ». A Saint-Jean-la-Rivière, l’installation de la vidéosurveillance constituait ainsi un engagement de campagne du candidat UMP qui remporta les élections en 2001. Et son successeur du bord politique opposé n’osa jamais remettre en question cet héritage, de peur d’être accusé de «laxisme» face à la délinquance, lors même qu’il nous déclara à plusieurs reprises être conscient du faible intérêt de ce dispositif et du fait que son budget pourrait sans doute être plus utilement employé ailleurs. Ensuite, indépendamment de la pression électorale, les élus locaux sont confrontés à une demande de sécurité émanant notamment des commerçants de centre-ville ainsi que de certaines catégories de la population plus enclines que d’autres au sentiment d’insécurité. Les courriers reçus en mairie et les interpellations multiples dont ils sont l’objet lors de leurs diverses apparitions publiques le leur rappellent de façon quasi quotidienne. Face à cette demande, l’installation d’un dispositif de vidéosurveillance présente alors l’avantage incomparable de constituer une action concrète et visible qui peut être présentée par l’élu comme une réponse volontariste. Le calcul politique n’est certes rentable qu’à court terme, d’une part parce que la demande de caméras risque d’être sans fin, d’autre part parce qu’il ne semble pas que le sentiment d’insécurité soit réellement impacté par l’installation de la vidéosurveillance. Mais, déterminés par les agendas électoraux, les élus raisonnent le plus souvent sur le court terme. Enfin, on peut se demander si le fait de s’emparer de la vidéosurveillance ne constitue pas pour les élus locaux une façon de s’affirmer dans un partenariat local où ils sont confrontés à une impasse structurelle. Les maires sont en effet promus officiellement (notamment par la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance) comme les pivots de la politique locale de sécurité et de prévention. Mais dans la réalité des partenariats interinstitutionnels, leur autorité et leur pouvoir sont souvent plus que relatifs face aux figures institutionnelles dominantes que sont localement le Préfet et le Procureur de la République, face aussi aux représentants locaux de l’État (commissaire de police, commandant de gendarmerie, proviseur de lycée, etc.) ou encore face aux services sociaux et médico-sociaux dépendant du Conseil général. Dès lors, le choix de la vidéosurveillance peut là encore apparaître comme une façon de s’affirmer et d’exister politiquement.